Artiste Nicolas De Staël
Œuvre Composition en gris et bleu
Date de création 1950
Dimension 115 x 195 cm
Média Huile sur toile
   
Principales caractéristiques

Composition en gris et bleu se compose de formes géométriques presque enlignées les unes aux autres dans une horizontalité pour remplir environ le tiers du tableau. Réalisé dans des couleurs rompues, pâles et sans trop de contraste l’image semble sourde et feutrée. La matière est travaillée avec empâtement à l’aide d’un couteau à palette ou d’une truelle ce qui indique l’orientation du geste du peintre. En ce qui a trait au rapport fond/forme, De Staël place toutes ses formes sur un même plan 1. Mais malgré cet espèce de rabattement, il crée une légère profondeur entre autres grâce à ces subtiles lignes estompées qui découpent le fond. Ces vecteurs semblent, en fait, être le prolongement de la construction géométrique des formes. Même si certains tableaux de De Staël, dont celui-ci, sont parfois associés à la peinture abstraite, ce n’est pas tout à fait juste. En effet, il s’agit d’une forme de figuration qui serait voilée ou dissimulée par cette recherche plastique associée à une sensibilité au monde extérieur et intérieur. Voilà pourquoi les carrés et autres formes géométriques de couleur grises ou bleues que forment ce tableau ne sont pas à confondre avec une toile réellement abstraite laquelle aurait pour sujet la peinture-matière. Quoiqu’il soit difficile d’en deviner le sujet, cette composition qui s’apparente au minimalisme se réfèrerait à une forme de réel.

Situation dans l’œuvre de l’artiste Le tableau à l’étude arrive dans une période, chez le créateur, où la géométrisation se fait par un emboîtement de formes les unes dans autres sans qu’on ait l’impression que l’on pourrait les séparer : « il entreprenait une nouvelle phase où les aplats et leur accord devenaient une autre préoccupation plastique » 2. Le peintre semble chercher à synthétiser la forme, l’essence de l’image. Voilà pourquoi dans ses compositions de 1949, par exemple, on y retrouve peu d’éléments si on compare à d’autres tableaux datant de deux ans ou d’un an auparavant. Composition en gris et bleu serait l’une des œuvres de cette période à être les plus épurées. Cette recherche de simplicité de la composition peut être attribuable au fait que les années 1946 à 1948 se caractérisent par des tableaux où beaucoup d’éléments s’entremêlent dans une recherche de dynamique et de rythme de l’image. L’année 1946 est particulièrement sombre et lourde avec sa prédominance de noir et ce tissage serré d’éclatement de la forme comme le témoignent Casse-Lumière ou Composition en noir. « La notion de « nouvel-espace » et l’abrogation de toute fuite en avant veulent par des lignes de forces créer un espace intérieur où le noir l’emporte sur quelques trouées de couleur » 3. Les œuvres qui vont suivre répondent donc peut-être à un désir de créer un espace pictural moins hermétique où la composition est simplifiée. « L’important (…) c’est de donner de l’air, de l’air. Il faut qu’un tableau de musée domine et fasse respirer les autres » 4. Cette nouvelle préoccupation semble donc introduire une ouverture vers le monde extérieur. Cette dernière est d’ailleurs une caractéristique que l’on remarque dans sa célèbre série des Footballeurs ou celle du Parc des Princes. Cette période peut être située comme « un trait d’union qui relie l’œuvre passée à celui des années à venir » 5. Considérant donc que la période entourant 1952 se veut comme un point tournant pour l’artiste entre des préoccupations de l’ordre de l’univers intérieur et celui du monde extérieur, Composition en gris et bleu se présenterait alors comme un sourd point de suspension avant de faire le saut vers de nouvelles expérimentations. Une sorte de tension où ses compositions « ne doivent plus rien à la réalité, même à celle qu’avaient déformée Picasso, Braque , Matisse » 6.
Situation dans son contexte De Staël ne s’étant jamais identifié comme étant un peintre abstrait et pour qui il n’y avait d’ailleurs « pas d’opposition, pas de frontière, entre figuration et abstraction » 7 s’inscrit dans un courant d’art informel. Ce dernier se définit par « une gestualité assez spontanée (…), à l’emploi d’une matériologie expressive, au refus d’une figuration explicite surtout. » 8. Ce mouvement s’étant dessiné dans la France des années 1945 - 1960, il serait « l’exclusion des abstractions « construites », héritière de Mondrian et de De Stijl » 9. De Staël, chez qui le vocabulaire formel « dérive encore d’un certain géométrisme, issu lui-même du post-cubisme » 10 triomphe d’une très grande sensibilité de l’image dans son rapport au réel (mais qui n’a rien à voir avec l’expressionnisme). Quand au courant d’art informel auquel on l’identifie, on dit qu’il « clôt réellement une époque : celle de l’hégémonie des avant-gardes parisiennes » 11.
   
Incidences

« Ce que j’essaie, c’est un renouvellement continu, vraiment continu. Ce n’est pas facile » 12. Voilà une phrase qui démontre l’éternelle insatisfaction de l’artiste face à sa production. Insatisfaction qui débouchera sur une tension tangible dans ses derniers tableaux, ses paysages peints sous un regard abréviatif, qui précèdent son suicide en 1955. Le peintre qui repousse en sensibilité et en subtilité les limites de l’abstraction géométrique fait partie de ces « artistes plus singuliers (qui) déclinent une vision remarquable de la modernité » 13. Pour ce qui est de l’incontestable marque que laisse Nicolas De Staël, on en dit que peu après sa mort, il « reçoit une rapide consécration mondiale, saluée comme un dépassement de l’antinomie abstraction-figuration » 14.

…ma vie douce à moi consiste à travailler, à être inquiet, à lire, et mon travail n’a pas beaucoup de ressemblance avec la douceur du pays…

-De Staël

 

1 Bernard Dorival, Les peintres du vingtième siècle, du cubisme à l’abstraction 1914-1957, p.128, Éditions Pierre Tisné, Paris, 1957, 178 pages

2 Pierre Granville, De Staël, p.12, Éditions L’autre musée, Paris, 1984, 79 pages

3 Ibid. p. 11

4 Extrait de lettre de Nicolas De Staël à Théodore Shempp, octobre 1950, tiré de Daniel Dobbels, Staël, p.125, Éditions Hazan, 1994, 246 pages

5 Voir Pierre Granville p. 14

6 Guy Dumur, Nicolas De Staël, p.23, Éditions Flammarion, Paris, 1977, 96 pages

7 Voir Bernard Dorival p. 132

8 Collectif, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, p..29, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, édition 1990, 183 pages

9 Ibid. p.29

10 Voir Pierre Grandville p.10

11 Collectif, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, p. 30

12 Voir Daniel Dobbels, p.137

13 Collectif, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, p..29

14 Sous la direction de Gérard Durozoi, Dictionnaire de l’art moderne et contemporain, p.640, Éditions Hazan, 2002, 733 pages


Bibliographie Pierre Granville, De Staël, Éditions L’autre musée, Paris, 1984, 79 pages

Pierre Daix, Nicolas De Staël, lettres et dessins, Éditions Ides et calendes, Neuchâtel, 1998, 128 pages

Bernard Dorival, Les peintres du vingtième siècle, du cubisme à l’abstraction 1914-1957, Éditions Pierre Tisné, Paris, 1957, 178 pages

R.V. Gindertael, Nicolas De Staël, Éditions Galerie Beyeler Basel, Basel, 1966

Guy Dumur, Nicolas De Staël, Éditions Flammarion, Paris, 1977, 96 pages

Collectif, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, édition 1990, 183 pages

Daniel Dobbels, Staël, Éditions Hazan, 1994, 246 pages

Sous la direction de Gérard Durozoi, Dictionnaire de l’art moderne et contemporain, Éditions Hazan, 2002, 733 pages 

Commentaire
Marjolaine Bourdua
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