Artiste | Leonor Fini |
Œuvre | Le bout du monde |
Date de création | 1947 |
Dimension | 55" x 38" |
Média | Huile sur toile |
- Leonor Fini |
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Principales caractéristiques | Ce tableau de Leonor Fini met en scène un personnage
féminin immergé dans l’eau jusqu’à
la hauteur de la poitrine qui avec sa réflexion se situe en plein
centre de l’image. Sur la masse d’eau noire et opaque se
trouvent à l’avant-plan des feuilles d’arbres séchées
dont les proportions sont exagérées et une petite branche
qui semble flotter à la verticale sur l’eau et de laquelle
pendent d’autres feuilles comme des fleurs fanées. Autour
de cette femme, nymphe ou simulacre se trouvent trois crânes d’oiseaux
ou autres bêtes qui flottent sur l’eau ou qui sont à
moitié plongés dans celle-ci. Leurs yeux sont encore vivants
et éveillés et leur réflexion sur la surface miroir
de l’eau crée une symétrie parfaite. L’arrière
plan, qui suggère une montagne lointaine surplombée d’un
ciel troublé aux couleurs grises, brunes et oranges brûlées
nous fournit un indice de temps soit les quelques minutes avant la tombée
de la nuit. Le tableau à l’huile est peint de manière
réaliste et léchée. Par l’ambiance visuellement
décrite, l’image évoque des odeurs, des sons voir
même une température. Tous ces éléments contribuent
à créer une certaine tension, une sorte de point de suspend
dans le temps. « (…) il y a une condensation, une contraction
de forces et de formes qui nouent inquiétude et beauté.
» 1. Et c’est souvent dans ce
climat d’incertitude que Leonor Fini compose ses tableaux et qu’elle
nous présente ici une sorte de chorégraphie immobile qui
ne saurait être que l’expression humaine de l’individualité
profonde. |
Situation dans l’œuvre de l’artiste | Le Bout du Monde est réalisé
dans la première période de Fini, celle que l’on qualifie
« d’extérieure ». Elle travaille, à ce
moment, avec des fonds sombres qui évoquent l’épaisse
robe noire de la nuit, et met en relation des éléments étranges,
inusités voire même ésotériques où elle
crée un rapport étroit entre humain, animal et végétal.
Elle semble instinctivement poussée à créer «
cet univers inconnu et sauvage, tourmenté et glissant .»
2 L’artiste aborde également le
thème de la mort. Ce dernier sera récurrent et par moment
déterminant dans sa production. Son travail prendra un important
tournant vers 1965 alors qu’elle s’attardera davantage à
la sensibilité profonde de ses sujets majoritairement féminins.
C’est le début de sa période dite « intérieure
». « Après ce moment de transition, la sauvagerie naturelle
semble vraiment domptée, les formes animales domestiquées.
Le style se dépouille, s’épure, les formes deviennent
lisses, les couleurs s’éclairent. » 3
En 1947, Leonor Fini travaille avec George Balanchine alors qu’elle
dessine les décors et costumes de son ballet Le
Palais de Cristal créé à l’opéra
de Paris. Elle répète l’expérience en 1948
cette fois avec Roland Petit pour son ballet Les
Demoiselles de la Nuit. Son travail sera cette fois marqué
par la création de masques fortement influencés par la présence
animale et végétale. « Il y eut une coiffe où
montraient les dents un petit crâne de renard entre des feuilles
sèches, des lambeaux d’écorce, des papillons morts(…)
» 4 Il semble donc évident de
constater l’influence qu’ont eue les réalisations au
théâtre et récentes découvertes de l’artiste
sur le tableau à l’étude. |
Situation dans son contexte | Le travail de Leonor Fini est souvent identifié
au mouvement surréaliste. Il existe certes dans son travail des
aspects qui la rattachent à ce mouvement comme la représentation
onirique ou la mise en image d’éléments irréels.
À un autre niveau, ce sont des paroles telles : « peindre,
c’est une opération bizarre, presque un exorcisme »
5 ou « ma peinture suit le chemin que prennent les rêves
» 6 qui peuvent nous faire croire qu’elle
s’identifie à ce genre de démarche. Par contre, «
elle ne fera jamais partie du groupe surréaliste, car Andrée
Breton s’offusquera de son refus de participer aux réunions
de café, mais elle restera liée à Max Ernst, Paul
Éluard, Salvador Dali, Man Ray. » 7
Fini semble plutôt voir le surnaturel comme quelque chose de naturel
et non comme une nature déformée. Dans son travail, elle
laisse parler cette sorte de « figuration qui n’est pas un
choix contre l’abstraction, qui ne cherche pas à mimer le
réel mais n’est pas non plus utilisé pour tenir en
échec le réalisme comme s’y applique la pratique surréaliste
de l’image incongrue. » 8. «
L’expression du moi constitue le vrai « sujet » de l’œuvre
de Leonor Fini qui projette sur la toile son monde intérieur »
9. Le Bout du Monde
serait donc un tableau auquel se rattache une forme de symbolisme pigé
dans l’intériorité profonde de l’humain, en
l’occurrence l’artiste elle-même. Mais inévitablement,
l’influence surréaliste se fait tout de même sentir
dans l’image. |
Incidences | Toujours empreints d’inquiétude, les tableaux
de Leonor Fini représentent souvent une expression suspendue, latente.
« C’est bien au cœur de la terre, fermentée, écarlate,
qu’elle établit au départ, son empire, en ce lieu
encore indistinct où tout va peut-être s’accomplir
» 10. Ces éléments, caractéristiques
de son travail, se retrouvent dans le tableau à l’étude
alors qu’elle propose ce personnage aussi ambiguë que l’environnement
qui l’entoure. Et le regard insistant de la femme tout comme celui
de sa réflexion dans l’eau nous confirme qu’il ne s’agit
pas d’un travail uniquement et catégoriquement surréaliste.
La gamme d’émotions intériorisées et subtilisées
par l’image démontre qu’il s’agit là d’un
tableau d’une beaucoup plus grande subtilité et sensibilité. |
1 Galleria Civica D’Arte
moderna Palazzo Dei Diamanti. Leonor Fini,
Grafis Industrie, lieu n.d, Edizioni d’Arte, 1983, p.8 |
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Bibliographie | Galleria Civica D’Arte moderna Palazzo Dei Diamanti,
Leonor Fini, Grafis Industrie, lieu n.d,
Edizioni d’Arte, 1983. GAUTHIER, Xavier. Leonor Fini, Paris, Le musée de poche, 1979, 155 pages. VILLANI, Tiziana. Parcours dans l’œuvre de Leonor Fini, traduction de Jean-Claude Dedieux, Belgique, Éditions Michèle Trinckvel, 1989, 151 pages. |
Commentaire |
Marjolaine Bordua |
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