Artiste Meret Oppenheim
Œuvre Déjeuner en fourrure
Date de création 1936
Dimension 7.3 cm de hauteur
Média Tasse, soucoupe et cuillère recouverts de fourrure
 


Qu’on se souvienne que ce fut Eve qui la première goûta au fruit de l’Arbre de la Science c’est-à-dire de la pensée consciente.

- Meret Oppenheim

Principales caractéristiques

C’est à l’époque où, encore jeune, Meret Oppenheim traînait à Montparnasse et fréquentait le groupe des Surréalistes de Breton au Café Place Blanche que le Déjeuner en fourrure fut crée. L’objet est constitué d’une réelle tasse, soucoupe et cuillère recouvertes de fourrure de gazelle chinoise marouflées sur la matière de sorte que la céramique disparaît complètement. Les photos qui documentent cette œuvre en démontrent différentes versions où la disposition subit parfois quelques variations. Cuillère à côté de la tasse posée sur la soucoupe, cuillère à côté de la soucoupe comme posée sur la table, avec ou sans napperon etc. Comme quoi les éléments ne sont pas fixés ensembles dans un état de finalité. La couleur beige de la fourrure animale et sa texture mouchetée créent une référence naturelle, sauvage voire même tribale ce qui crée une contradiction visuelle avec la forme industrielle, usinée de la tasse, soucoupe et cuillère. Pour ce qui est du titre de l’œuvre, il a été proposé par Breton « en partant de l’association de « Déjeuner sur l’herbe » de Manet et de la « Vénus en fourrure » de Sacher Masoch » 1. Oppenheim qui n’accordait pas d’importance à la sémantique dans l’élaboration de ses titres et qui se contentait de « décrire ce qui est représenté » 2 l’avait elle nommée « Assiette, tasse et cuillère couvertes de fourrure ».

Situation dans l’œuvre de l’artiste L’idée du Déjeuner en fourrure est née d’un bracelet que l’artiste avait confectionné à l’aide d’un tube de laiton qu’elle a courbé et sur lequel elle avait collé une bande de fourrure. L’ayant montré à son amie Dora Maar et à Picasso, ils ont dérivé sur cette idée saugrenue qu’ils pourraient tout couvrir de fourrure. Oppenheim avait rajouté « cette tasse, cette assiette par exemple » 3 en pointant la table du Café. C’est un peu plus tard alors que Breton l’a invitée à participer à une exposition d’objets que l’idée lui revint et qu’elle la réalisa enfin. Dans l’élaboration de cette pièce, « ce qui (l’)amusait, c’était le contraste porcelaine et fourrure comme celui métal/fourrure dans le bracelet » 4.

L’année 1936 est marquante pour Oppenheim alors qu’elle obtient sa première exposition personnelle à la galerie Schulthess à Bâle. Elle participe également à l’exposition « Fantastic art, Dada, surrealism » au Museum of Modern Art à New-York. « Sa pièce Déjeuner en fourrure y fait sensation et est achetée par le musée » 5. C’est aussi la même année qu’elle réalise Ma gouvernante (illustration 1) œuvre qui pour sa notion de détournement et de spontanéité s’apparente par certains points au fameux déjeuner. Mais cette fois, la portée féministe de l’œuvre s’énonce davantage. Influencée par les artistes du groupe surréaliste et Dada qu’elle fréquentera, Meret Oppenheim produit beaucoup de dessins, tableaux, gouaches, esquisses pour des sculptures à venir. Elle compose également des poèmes. La représentation mentale, la métamorphose, le jeu, le rêve, l’allusion au féminisme ou plutôt l’affirmation de la femme-artiste sont des préoccupations qui semblent l’accompagner pendant plusieurs années. Elle aborde aussi la question de la spiritualité avec ses propos sur l’androgynie de la pensée.
Situation dans son contexte Cette artiste fut associée, entre autres à cause de sa facture ludique et fantastique, au surréalisme et au mouvement dadaïste. Elle a fréquenté certains membres de ces groupes à son arrivée à Paris alors qu’elle n’avait que 19 ans. Plus tard, elle travaillera en collaboration avec des artistes comme Man Ray pour la réalisation d’œuvres (ex : Rayon X de mon crâne, 1964). L’influence de ces groupes sur la carrière de Oppenheim semble donc indéniable malgré le fait que l’artiste apporte une nuance à ce sujet en s’exprimant ainsi : « Je dois dire que je faisais déjà des choses classées comme « surréalistes » avant de les connaître mais il faut dire aussi qu’ils ont été les premiers à les regarder sans les mépriser et ceci m’a fait plaisir naturellement. Pourtant je sais, aujourd’hui, avec certitude que je les aurais faites et continué à les faire même si je n’avais pas connu les Surréalistes. » 6. Pour ce qui est des traits communs que l’on y trouve avec Dada, ils se trouvent souvent dans des similitudes entre sa démarche et celle de Marcel Duchamp. En effet, certains voient chez elle le même souci pour l’idée, la même emphase mise sur l’action posée sur l’objet plutôt que l’objet lui-même typique chez l’auteur du Nu descendant un escalier. On dénote que tous deux s’interrogent sur les perceptions que l’on fait de l’objet et le processus qui le fait devenir art.
Incidences Mais ce qui est saisissant chez cette femme c’est de constater que son travail est annonciateur de problématiques ou de thèmes qui seront chers à l’art contemporain que nous connaissons aujourd’hui. En travaillant le détournement comme manière de contourner la valeur esthétique, symbolique ou sémantique des sujets, elle élabore des méthodes de travail et de réflexion qui seront adoptées par certains des grands noms de l’art actuel tels Jeff Koons ou Maurizio Cattelan par exemple. Certaines de ses pièces comme ses gants en suède sur lesquels sont peintes des veines ou Jeune écureuil (1969, illustration 2) se confondent facilement avec des travaux récents que l’on retrouverait en galerie.

À l’image d’une petite fille qui avec candeur s’amuse spontanément à bricoler des objets et à mettre en image le fruit de ses rêveries, Meret Oppenheim lègue à l’histoire de l’art plusieurs pièces qui seront encore aujourd’hui chéries. Et pour ce qui est des propos féministes qu’elle a défendus, ils auront sans aucun doute contribué à l’émancipation de la femme particulièrement dans le monde de l’art
 

1 Catalogue d’exposition Meret Oppenheim, ARC Musée d’art moderne de la ville de Paris, octobre 1984, tiré d’un interview avec l’artiste par Suzanne Pagé et Béatrice Parent, Paris, septembre 1984, p.11-22

2 Ibid. p.11-22

3 Ibid. p.11-22

4 Ibid. p.11-22

5 Ruhrberg, Schneckenburger, Fricke, Honnef. L’art au XXe siècle, sous la direction de Ingo F. Walter, Köln, Taschen, 2000, p.781

6 Voir note numéro 1 p.13

Bibliographie Alexandrian, Sarana. « Première explication suivie d’un répertoire de la sculpture surréaliste », Connaissance des arts, no.245, juillet 1972, p.53-59

Catalogue d’exposition Meret Oppenheim, avant-propos de Suzanne Pagé, ARC Musée d’art moderne de la ville de Paris, octobre 1984, p. 8-22 et 32-33

Collectif, The 20th Century Art Book, Londre, Phaidon, 1996, p.351

Curiger, Bice, Meret Oppenheim, Zurich, Parkett Publishers, 1989, 275 pages

Ruhrberg, Schneckenburger, Fricke, Honnef. L’art au XXe Siècle, Köln, Taschen, 2000, p.463-463 et 781
Commentaire
Marjolaine Bordua
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