Artiste | Max Ernst |
Œuvre | Une semaine de bonté ou les sept éléments capitaux |
Date de création | 1934 |
Média | Roman-collages, publié par Jeanne Bucher |
Principales caractéristiques |
Dans cette œuvre Max Ernst nous propose une histoire entre le conte merveilleux et le roman «noir». Ce roman-collages est une suite de plusieurs collages sans note ni légende. Il comporte sept séries d’images qui représentent chacune une journée de la semaine (mythe moderne de la création). La notion d’«éléments capitaux» est substituée par Max Ernst à celle des sept «péchés capitaux». À chaque journée est associé un élément et un exemple. Alors, dimanche a pour élément la boue et pour exemple le lion de Belfort (l’orgueil); le lundi, élément : l’eau, exemple : l’eau (la paresse); le mardi, élément : le feu, exemple : la cour du dragon (la luxure); le mercredi, élément : le sang, exemple : Œdipe (la colère allant jusqu’au meurtre); le jeudi, élément : le noir, deux exemples : le rire du coq, l’île de Pâques (l’envie, qui a deux aspects selon la théologie); le vendredi, élément : la vue, exemple : l’intérieur de la vue (l’avarice); le samedi, élément : inconnu, exemple : la clé des chants (la gourmandise). 1 Ces thèmes sont abordés par l’isotopie homme/animal : «[…] les unités animales sont toujours ajoutées à la structure humaine qui fonctionne par là comme la base, le tronc.» 2 C’est par la technique de «l’élément ajouté» (transporter dans une image un détail détaché d’une autre) et de la «méthode combinatoire» (découper plusieurs éléments spatiaux pour recréer un espace unifié) que Max Ernst a construit son roman-collages. 3 La source iconographique de cette œuvre se concentre surtout sur les illustrations de romans populaires du 19e siècle comme Les damnés de Paris de Jules Mary, de livres de cette époque et de manuels scientifiques. 4 Toujours situées dans un espace tri-dimensionnel, plus ou moins en perspective, des situations incongrues, voire même oniriques, se côtoient et dialoguent.
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Situation dans l’ensemble de l’œuvre de l’artiste |
Max Ernst a découvert l’œuvre de Chirico assez tôt et en est resté marqué plus que les autres artistes de l’avant-garde. Chirico avait ceci d’intéressant, qu’il «rompait avec la peinture de ses contemporains (futuristes, cubistes, Kandinsky) tout en introduisant une notion très importante, celle du dépaysement systématique.» 5 Ce fameux « dépaysement » se retrouve chez Ernst autant dans des œuvres picturales (L’éléphant célèbres de 1921, Oeudipus Rex de 1922) que dans des collages (Femme 100 têtes de 1929, Une semaine de bonté de 1934). 6 Ce sera entre 1919 et 1921 que l’artiste approfondira et perfectionnera le «procédé du « collage », qu’il conçoit dans un esprit très différent de celui des cubistes, dont les « papiers collés » avaient une valeur exclusivement plastique.» 7 Arrivé à Paris en 1922, Ernst a été accueilli par les Surréalistes chaleureusement. En effet, parlant d’un collage de 1920, André Breton proclamait la filiation du collagiste aux écrivains, si chers au groupe, Lautréamont et Rimbaud :
En 1921, Éluard rend visite à Max Ernst à Cologne et lui demande d’illustrer son œuvre poétique «Répétition». Cette rencontre sera le commencement d’une longue amitié comme le début d’une exploration entre collage et littérature. 9 Ensuite, délaissant quelque temps le collage, Ernst invente les procédés du frottage et du grattage, applicables en dessin et en peinture. Ce n’est qu’en 1929 qu’il revient aux ciseaux pour élaborer la nouvelle forme du «roman-collages». Femme 100 têtes de 1929 en sera la première expérimentation et Une semaine de bonté de 1934 la deuxième. Dans ces deux œuvres, Ernst semble plonger dans l’inconscient pour en explorer les bas-fonds. Mesens écrira dans la préface au catalogue de l’exposition de Ernst de 1953 à Knokke-le-Zoute en Belgique:
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Situation dans le contexte socio-historique |
De grands changements et bouleversements ponctuent l’histoire du 20e siècle, à commencer par la Grande Guerre (1914-18). Elle a interrompu, ou du moins ralentit le développement de plusieurs mouvements d’avant-gardes comme le Cubisme, le Futurisme, le Blaue Reiter et bien d’autres (des artistes y sont morts). Cette expérience terrible de la violence humaine a « allumé des foyers de rébellion intellectuelle dans de multiple villes européennes. » 11 Zurich est l’une de ces villes. Elle a été prises d’assaut par le feu du mouvement révolutionnaire et anti-artistique Dada en 1918. Laboratoire subversif et prolifique, c’est au sein du groupe qu’est né le photomontage (forme plus politisée que les collages de Ernst, mais basée sur le même principe). Lors d’une conférence de 1931 pour la première grande exposition de photomontages, Raoul Hausmann, photomonteur lui-même, disait :
Ensuite, c’est à Cologne que le mouvement fait son apparition. C’est à ce moment que Ernst fit son entrée dans le groupe où il retrouvera son ami Arp et fit la rencontre de l’anarchiste Baargeld. Avec eux il fera des publications et prendra partie à des manifestations qui recherchent le scandale par la provocation et l’agressivité. «Lors d’une exposition dadaïste, Max Ernst joint une hache à l’une de ses œuvres – un montage d’éléments disparates – invitant ainsi le spectateur à la détruire si bon lui semble.» 13 Depuis que Duchamp avait remis en question le statu de l’œuvre d’art avec ses ready-made en plus de l’attrait presque général de l’avant-garde pour le machinisme et l’utilisation des machines, la quantité de médium s’est décuplée (toute technique nouvelle est bonne parce que nouvelle, principe de la modernité). Après la hache, pourquoi pas les ciseaux pour transformer les produits de l’entreprise de la reproduction mécanique (de plus en plus abondante déjà à cette époque). 14 Les collages de Max Ernst, par leurs qualités techniques et esthétiques ont impressionné à un tel point ses contemporains que des gens comme les poètes surréalistes Breton, Éluard et Prévert, par exemple, ont recouru «instinctivement aux mêmes illustrés où il cherchait ses trouvailles, aux mêmes méthodes, au même climat dramatique, et composèrent des images identiques aux siennes, sans la moindre innovation. Aujourd’hui encore, les ``collagistes`` subissent sa domination et n’arrivent pas à trouver mieux.» 15
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Conclusion |
Max Ernst est un autodidacte génial, un révolutionnaire, un Dada, un exilé, un surréaliste et un solitaire par la suite. Malgré ce butinage digne d’un homme orchestre son influence sur le reste du 20e siècle est indéniable. « Que l’on songe par exemple à la "peinture gestuelle américaine", à l’École de Paris, à l’art "matiériste" ou encore au "tachisme".» 16 Ce n’est donc pas sans raison que le poète René Crevel l’avait surnommé «le magicien des palpitations subtiles ».
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1 Voir un résumé plus détaillé, Coll., Max Ernst, édition Somogy, Paris, 1986, 136p., p.67 et 68. 2 Voir l’analyse très intéressente du poème visible Rencontre de deux sourires précurseur de l’œuvre étudiée ici par Philippe Dubois, Oblique et collage : une ruse, une rhétorique, Mémoire de licence information et arts de diffusion, Université de Liège, 1976, 360p, p.4 à 13. 3 Coll., Op. cit., p.62-63. 4 Voir exemples des collages de l’artiste et les gravures originales et de Marina Vanci Perahim, Ernst, collection Découvrons l’art, édition Cercle d’art, Paris, 1997, 63p., p.41 et 43 5 Carlo Sala, Max Ernst et la démarche onirique, édition Klincksieck, Paris, 1970, 110p., p.36. 6 Idem. 7 Patrick Waldberg, Ernst I, collection Les maîtres de l'art, éditeur Fernand Hazan, 1975, 96p. p.? (ouvrage non-paginé) 8 Idem. 9 Marina Vanci Perahim, OP. Cit., p.8. 10 Carlo Sala, OP. Cit., p.53-54 11 Marina Vanci Perahim, OP. Cit., p.5. 12 Ades, Dawn, Photomontage, édition Chêne, Paris, 1976, 112p. p.11. 13 Vanci Perahim, Marina, OP. Cit., p.5. 14 Idem. 15 Coll., OP. Cit., p.63.
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Bibliographie | Ades, Dawn, Photomontage, édition Chêne, Paris, 1976, 112p. Coll., Max Ernst, édition Somogy, Paris, 1986, 136p. Dubois, Philippe, Oblique et collage : une ruse, une rhétorique, Mémoire de licence information et arts de diffusion, Université de Liège, année académique 1975-76, Liège, 360p. Sala, Carlo, Max Ernst et la démarche onirique, édition Klincksieck, Paris, 1970, 110p., Vanci Perahim, Marina, Ernst, collection Découvrons l’art, édition Cercle d’art, Paris, 1997, 63p. Waldberg, Patrick, ErnstI, collection Les maîtres de l'art, éditeur Fernand Hazan, 1975, 96p. San Lazzaro, coll., Hommage à Max Ernst, XXe siècle, Paris, 1971, 132p.
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Commentaire |
David Manseau
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