Artiste Luis Bunuel et Salvador Dali
Œuvre Un chien andalou
Date de création 1928
Durée 17 minutes
Média Court-métrage en noir et blanc
   
Principales caractéristiques

Un chien andalou : premier film réalisé par Don Luis Bunuel, première irruption du surréalisme au cinéma, première confrontation de cinéaste à la logique. Ce film muet se déroule en trois actes, suites de séquences étranges sans cohérence apparente ni chronologie linéaire. Il se centre autour d’un couple se mutilant avec du Wagner en fond sonore. Le résumé pourrait se résoudre à ceci : l’histoire d’un couple cherchant à s’aimer mais qui se repousse continuellement à travers un triangle amoureux où la jalousie de l’homme va jusqu’à la mutilation. Pourtant ce scénario n’explique pas l’impression d’être dans un songe confus durant 17 minutes dont l’explication nous échappe. Contrairement à certains films muets, il y a peu de recours aux intertitres pour nous donner le pouls de l’intrigue, ce qui accentue la confusion et l’incompréhension des images. En fait les seuls intertitres présents se réfèrent à une chronologie inappropriée « comme pour mieux établir, hors du temps rationnel et logique, les rapports de causes à effets qui perturbent le désir. » 1 certaines scènes sont intenses en symbolisme : fourmis, nuage cisaillant la lune, boîtes fermées à clé. L’interprétation du film requiert donc une bonne connaissance du réalisateur et de ses contemporains, mais sa compréhension se situe à un autre niveau : celui des émotions.

Situation dans l’œuvre de l’artiste Luis Bunuel a réussi un exploit en présentant ce premier film à ses confrères surréalistes. Désillusionné par le sentimentalisme de Chaplin et des grands cinéastes du muet, il s’est lancé dans l’avant-garde cinématographique en jouant sur l’onirisme. Puis il a continué à œuvrer dans le monde des rêves en jouant sur les mêmes grands thèmes et ce, dans une trentaine de courts et de longs métrages répartis sur 50 ans. Chaque film pourrait revenir au même. Rêve après rêve, répétant inlassablement l’histoire, ce qui en devient cauchemardesque. Pour le réalisateur, faire du cinéma c’est réaliser ses fantasmes et angoisses personnels au lieu de les taire. Il a ainsi révolutionné la pensée de l’époque et choqué les convenances du secret du privé et des désirs. Né dans un monde religieux remplis d’interdits, Bunuel s’est alors servi du mode d’expression qu’est l’automatisme cinématographique pour transgresser les tabous et s’en libérer. À la sortie du film les critiques de l’époque l’ont étiqueté comme un cas de démence précoce, ce qui prouve bien la réussite de son objectif. 2

À l’instar des autres surréalistes, il veut libérer la raison de ses prisons : la société qui réprime les pulsions et le démon intérieur de l’homme. Ainsi comme pour lui l’homme est emprisonné par ces barrières, la liberté est une illusion. Dans le cas de Un chien andalou, le couple tente désespérément de se rapprocher, mais les conjoints se détournent sans cesse l’un de l’autre et ils ne trouvent la lilbération que dans la mort. Son premier court-métrage lance donc les thèmes qui vont être importants pour lui et dont tous ses films seront une variante. 3

Situation dans son contexte Pour bien analyser cette œuvre magistrale, il faut se resituer dans le contexte de l’époque. Nous sommes en 1927 dans l’après-guerre d’une Europe en plein essor des consciences artistiques. Les artistes sont blasés du romantisme et du réalisme. Avec le cubisme ayant ouvert la voie de négation du réel tel que perçu, Chagall ayant trafiqué dans le domaine de l’impossible avec des chevaux volants et Dada qui se révolte des modèles préconçus par la société, le surréalisme avait tous les facteurs pour entamer la révolution du monde conscient. Bunuel s’est emparé de la porte ouverte sur le domaine des rêves pour déséquilibrer sa réalité dans les limites du monde réel et de l’inconscient. Pour lui, le surréalisme est une explosion, une révolution dont il entend bien en faire partie. 4

En fait le cinéma bunuelien synthétise le surréalisme avec un courant déterminé alors : la psychanalyse amenée par Freud. Il va donc utiliser à sa manière les découvertes freudiennes sur les mécanismes de défense comme la projection, sur les névroses que sont le désir sexuel refoulé et sur l’interprétation onirique pour découvrir le monde intérieur privé de la raison. Cette synthèse a donc donné naissance à un cinéma où l’image prime sur le mot comme le surréalisme prime sur la raison : image choquante et lourde de signification symbolique analysée par la psychanalyse. Pour lui comme pour Freud, l’amour est impulsif, irréfléchi et donc le bonheur est impossible Il utilise le voyeurisme, la violence et la masturbation comme catharsis à cet échec. Ce qu’il punit d’ailleurs dans ce premier film, comme la société le ferait.

Incidences Cette dualité désir-punition imagée peut avoir un écho dans l’existence des spectateurs qui ressentent alors une répulsion face au film. Le même effet peut se ressentir encore aujourd’hui, même dans une société libérée de plusieurs tabous. Ce qui démontre que ce réalisateur brillant, qui ne se contentait pas d’une banale anecdote, a réussi avec brio ses jeux avec l’image pour nous ouvrir à un monde inconscient sous-estimé. Son premier film, ainsi que ses suivants, ont frayé un chemin dans le monde artistique à une dimension imaginaire dans un discours non-narratif. Il a aussi permis à tout un siècle de s’affranchir de ses pulsions malsaines et de permettre leur expression par le rêve. Son œuvre a donné lieu à des scandales tout le long de sa carrière et il laisse une cicatrice encore vive sur la conscience humaine avec ses fantasmes secrets et ses pulsions de viol et d’inceste. Dans une société maintenant habituée au scandale, au sexe gratuit et à la décadence, et qui en fait la promotion dans le cinéma et même la publicité, aurait-il encore sa place ?

« Aujourd’hui, dit Bunuel, rien ne serait plus surréaliste qu’un film racontant l’histoire d’une famille heureuse et tranquille des années trente. » 5
Bibliographie

1 Cité par Marcel Oms. Don Luis Bunuel, Les éditions du Cerf, Paris, 1985, p.35.

2 Ghalé, Noureddine. L’avant-garde cinématographique en France dans les années 20. Éditions Paris Expérimental, Paris, 1995, p.351.

3 Taranger, Marie-Claude. Luis Bunuel : le jeu et la loi. Presses universitaires de Vincennes, Paris, 1990, p.14-15.

4 Rispail, Jean-Luc. Les surréalistes, une générations entre le rêve et l’action. Découvertes Gallimard, 1991, p.30-36.

5 Entrevue faite par Cesarman, Fernando. L’œil de Luis Bunuel. Éditions du dauphin, Paris, 1982, p.266.

Commentaire
Audrey Moreau
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