Artiste | Le Corbusier et Pierre Jeanneret |
Œuvre | Quartier Moderne Frugès |
Date de création | 1924/1926 |
Média | Architecture : Cité-jardin d’une cinquantaine de maisons (le plan initial de 1924 en prévoyait cent trente-cinq). |
Dimensions | Environ 2 hectares |
Lieu | Pessac (Gironde – France) |
État actuel | En voie de restauration |
« La maison est une machine à habiter »
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Principales caractéristiques |
Le Corbusier définit 5 clefs qui seront les fondations de son œuvre : le plan libre, la façade libre, la fenêtre courante, les pilotis et le toit-jardin. - Le plan libre : le béton armé permet de créer des ossatures indépendantes d’un étage à l’autre. Finie la dépendance des murs porteurs imposée par les constructions en pierre. - La façade libre : l’enveloppe est elle aussi libérée grâce au plan libre; les ouvertures trouvent une nouvelle organisation. - La fenêtre courante : ces ouvertures continues favorisent l’entrée de la lumière et un prolongement panoramique de la vue. - Les pilotis : ces poteaux sont les racines apparentes de la construction libérant ainsi la surface au sol. - Le toit-jardin : l’abandon de la pente est possible grâce au béton, on récupère alors une surface identique à celle au sol. On peut y concevoir jardin ou terrasse. Les théoriciens de l’architecture ont largement critiqué Le Corbusier pour cette innovation. Dans l’agencement du Quartier Moderne Frugès (qui comptera finalement 51 constructions, au lieu des 135 prévues) on distingue différents types de construction, qui sont autant d’idées d’imbrications des espaces intérieurs et extérieurs : Arcade, Gratte ciel, Quinconce, Zigzag, Isolée, Vrinat 1. Les constructions sont basées sur un concept d’ossature appelée Dom-Ino 2; les espaces cubiques sont déclinés de façon à réduire les coûts de réalisation, visant ainsi un record de bon marché pour un confort maximum. Le chantier rigoureux s’organise suivant les principes du taylorisme 3.
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Situation dans l’ensemble de l’œuvre de l’artiste |
Charles Édouard Jeanneret dit Le Corbusier est né le 6 octobre 1887 en Suisse. Il s’installe à Paris en 1924. A la fois sociologue, architecte et artiste, il développe autour d’écrits et de conférences, ses théories sur l'architecture et l'urbanisme. Le Corbusier considère que l’architecture influence les comportements humains. Afin d’harmoniser l’homme et son habitat, il crée le Modulor. Basé sur les mensurations d’un homme d’1,83m bras croisés, 2,26m bras levés, ce concept est largement reprise par la nouvelle vague d’architecte. Il est fortement concerné par le fait que les logements sont souvent surpeuplés, et ne disposent que très peu du confort que peut procurer la modernité : WC, douche, baignoires, chauffage central. Les logements sociaux, les cités ouvrières, le logement de masse, sont les préoccupations de Le Corbusier lorsqu’il entame le projet Frugès en 1924. La recherche de formes pures et leur organisation doivent collaborer à la qualité de l’espace urbain. Une cellule type, des éléments basiques et un assemblage brillant montrent l’esprit avant-gardiste de l’architecte. "L'architecture est le jeu savant correct et magnifique des formes et des volumes sous la lumière" 4. Ses conceptions sont très inspirées par l’architecture des grands ensembles américains. En débutant le chantier de Pessac5, Le Corbusier entame ce qui sera la première cité ouvrière et la seule composée d'habitations individuelles de sa carrière. Mais les difficultés techniques, le changement de directeur de travaux, l’abandon du canon à ciment au profit de parpaings, des dimensions imprécises et des malfaçons vont créer un surcoût considérable. Le Quartier Moderne Frugès, largement amputé, entraînera la faillite du maître d’œuvre et du commanditaire. Les maisons seront bradées dans le cadre d’une loi sur les logements sociaux de 1928 (la loi Loucheur). Ce projet précède ce qui sera, sans doute, l’une des œuvres fondamentales de l’architecture du XXème siècle : la Villa Sovaye 5.
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Situation dans le contexte socio-historique |
Au XVIIIème siècle, Ledoux, génial précurseur, travaille sur une ville idéale : « La cité industrielle ». Dès le XIXème siècle, Fourier amène des idées sur les services communs pour des habitations collectives. On commence à réfléchir à la hauteur et au confort de l’habitation. En 1816 Robert Owen cherche des alternatives collectives aux problèmes des ghettos ouvriers. A partir de 1850, les théoriciens de l’urbanisme sont nombreux. On assistera à la naissance de la première cité-jardin en 1907 à Letchworth en Angleterre. Le sociologue Patrick Geddes cherche un ordre nouveau, par la méthode du Regional Survey , préconisant l’analyse de toute la région qui entoure une ville. Au début du XXème siècle, le monde industrialisé cherche à élaborer une doctrine de l’urbanisme. Au lendemain de la première guerre mondiale, le mouvement hollandais De Stijl et le Bauhaus amorcent une réforme de l’art et de la culture. L’Esprit Nouveau qui caractérise l’art des années 20, veut changer le monde sous toutes ses formes, idée reprise dans la revue L’Esprit Nouveau. Revue internationale d’esthétique que Le Corbusier fonde avec Ozenfant et Dermée. Pour Le Corbusier, il n’est pas question de renier les œuvres capitales du passé, mais les constructions du futur doivent se penser avec de nouveaux matériaux, de nouvelles conceptions, et doivent être débarrassées des préjugés. "Je vous autorise à réaliser dans la pratique vos théories jusque dans leurs conséquences les plus extrêmes (…) Pessac doit être un laboratoire." dit Henry Frugès 6 lorsqu’il passe commande 7. L’architecte met alors en route un projet à l’avant-garde du progrès, innovant tant sur le plan technique (canon à ciment, murs isothermiques) que sur le plan conceptuel (jardin-terrasse, garages intégrés, pilotis…). Les détracteurs de l’architecte l’attaquent sur l’esthétique dépouillée, moins révolutionnaire à leurs yeux qu’à ceux du concepteur : « Vos constructions modernes, si simples, si sûres d’elles-mêmes, ne sont-elles pas inspirées par certains bâtiments blancs et cubiques de la Grèce, de L’Algérie ou du Maroc? N’obéissent-elles pas à un style à leur tour, exotique de surcroît? 8 »
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Incidence |
Dans le monde entier, la signature de Le Corbusier a été honorée à plusieurs reprises, notamment par la Médaille d'Or de la cité de Florence et la Légion d'Honneur française. Il a été parmi les premiers architectes à se rendre compte que l’automobile changerait le visage des agglomérations. Au cœur du mouvement moderniste, il a amené l’idée que le logement peut améliorer les conditions de vie. Ses théories sur les grands ensembles ont largement été reprises par les constructeurs aux États-Unis. Brasilia a été construite en s’inspirant très fortement des conceptions de Le Corbusier. Depuis, de nombreux grands ensembles inspirés des recherches de Le Corbusier ont pris place, mais la qualité qu’il préconisait ne s’y retrouve pas : « Ces cités-dortoirs trop timidement équipées de services communs, trop mal insonorisées, mal arborisées, peu dotées de centres culturels, blessent le sociologue humaniste qui est en lui. 9 » Jusque dans les années 80, cette cité laboratoire de Pessac est tombée dans l’oubli et s’est peu à peu dégradée. Mais ses occupants ont tenu à défendre ce patrimoine et ont obtenu gain de cause. La ville s’est impliquée dans la sauvegarde et la réhabilitation de ce quartier, consciente du capital architectural et culturel mais aussi de la rareté de cet ensemble. On peut donc aujourd’hui apprécier la polychromie d’origine. Une maison « Gratte Ciel » est devenue un musée. Une maison « Arcade » a également été classée monument historique. Le Quartier Moderne Frugès comptent parmi les trente-deux sites réalisés par Le Corbusier qui ont été proposés dans le cadre de l’inscription sur la liste du patrimoine mondiale de l’Unesco. |
1 Les définitions suivantes proviennent du site : http://www.cv-aurelien.com/realisations/le_corbusier/citefruges.html
2 Ce système "Dom-Ino" est un assemblage en béton armé de dalles soutenues par des poteaux. La première est portée par des dés de béton, la dernière constitue la terrasse ou le toit de la maison. Les murs porteurs n'existent plus, les cloisons se positionnent librement. La "fenêtre-trou" peut disparaître au profit de bandeaux vitrés ou pans de verre d'un seul tenant. 3 Le taylorisme est une méthode de travail qui tire son nom de celui de l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915). Reposant sur une division du travail en tâches simples et répétitives individuellement optimisées et sur le paiement des employés au rendement. 4 Le Corbusier. Vers une architecture. Éditions Crès et Cie, Paris, 1923, P54 5 Cette maison est de forme cubique dressée de façon horizontale, surélevée par des pilotis, avec des formes courbes et une rampe centrale. Les différentes salles de séjour, avec leurs ouvertures en longueur donnent sur un jardin en terrasse. Le rez-de-chaussée abrite les espaces d'accueil et de services. Pour monter du vestibule aux différents étages, on utilise un système d'escaliers et de rampes internes. On accède au toit par une autre rampe depuis le jardin suspendu. 6 Henri Frugès, riche industriel du Sud Ouest de la France est le commanditaire du projet. 7 Daria, Sophie. Le Corbusier sociologue de l’urbanisme, Paris, Édition Seghers, 1964, p55. 8 Lyon, Dominique. Le Corbusier Vivant. Édition Telleri, 1999, P28 9 Daria, Sophie. Op cit. p130
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Bibliographie | LE CORBUSIER, Vers une architecture, éditions Crès et Cie, Paris, 1923, 230 pages.- PERRUCHOT, Henri, Le Corbusier, Collection Témoins du XXe siècle, Paris, Édition Universitaire, 1958, 125 pages. BERNHARDT, Uwe, Le Corbusier et le projet de la modernité, Paris, Édition L’Harmattan, 2002, 189 pages. MAX VOGT, Adolf, Le Corbusier, le bon sauvage, Traduit de l’allemand par Léo Biétry, Paris, Édition In folio, 2001, 304 pages DARIA, Sophie, Le Corbusier sociologue de l’urbanisme, Paris, Édition Seghers, 1964, 191 pages. BOUDON, Philippe, Pessac de Le Corbusier, Paris, Édition Dunod, 1969, 208 pages. VEDRENNE, Élisabeth, Le Corbusier, Édition Assouline, 1999, 80 pages. LYON, Dominique, Le Corbusier Vivant, Édition Telleri, 1999, 185 pages.
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Médiagraphie |
COURTOS, Claudia, Week-end "Le Corbusier" à Pessac, (page consultée le 20 novembre 2005), http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3546,36-657124@51-651843,0.html WIKIPEDIA, Le Corbusier, (page consultée le 20 novembre 2005), RICORDEAU Christian, L'art moderne -3- milieu du XXème siècle,(page consultée le 20 novembre 2005), MARCHANDOU Pauline, La cité Frugès Pessac, (page consultée le 20 novembre 2005), http://www.cv-aurelien.com/realisations/le_corbusier/citefruges.htm#
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Commentaire |
Emmanuel Brasseur
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