Artiste | Robert Wiene |
Œuvre | Das Cabinet des Dr Caligari |
Date de création | 1919 |
Durée | 72 min |
Média | Film |
Principales caractéristiques | Le Cabinet, de Robert Wiene, est LE chef-d’œuvre cinématographique de la période expressionniste. On assiste au dévoilement de l’histoire d’un interné, Francis (Friedrich Feher). Il raconte qu’un docteur nommé Caligari (Werner Krauss) avait commis des meurtres par l’entremise d’un somnambule, Cesare (Conrad Veidt), puis avait organisé l’enlèvement de sa fiancée, Jane (Lil Dagover). S’en est suivie une course folle qui s’est terminée à l’asile. Initialement, pour Carl Mayer (le scénariste), «Caligari symbolisait la société, responsable de la guerre, des cruautés, des absurdités et des crimes de la vie sociale» (Bardèche et Brasillach, 1953, p.253). Il en a été autrement au tournage, Robert Wiene préférant la folie au réel par une utilisation magistrale des décors et de l’éclairage, créant par le croisement des formes des angles inquiétants, des zones ombragées, un dynamisme époustouflant d’une ampleur comparable à celle des décors des Ballets Russes (Delluc, 1985, p.182). Jamais un tel esthétisme n’avait été atteint au cinéma, on assiste à :
Le film étonne également par son rythme foudroyant, où la lenteur des débuts s’enchaîne et se déchaîne jusqu’au mot FIN, le dernier souffle avant la crise de cœur. Selon Delluc, on a droit à une véritable «symphonie visuelle» (Delluc, 1985, p.182). Le jeu des acteurs est poussé à l’exagération, de même que leur maquillage et costumes. Tout semble avoir été déformé puis reconstruit. La création d’un tel monde où l’imagination et l’obsession conceptuelle écrasent l’observation et la représentation du réel, où le romantisme et le sadisme sont réunis, a amené plusieurs intellectuels et historiens à tenter d’établir un lien entre cette atmosphère et la montée du fascisme hitlérien. Siegfried Kracauer en est le plus grand représentant, affirmant que la grande beauté de ce film a imprimé dans les esprits allemands une aspiration à l’autorité, une fascination pour la manipulation, causant la chute des valeurs traditionnelles, ce qui a mené à une réalité ambiguë et une confusion générale, de sorte que l’intimidation faite par les nazis a fonctionné (Beylie et Carcassonne, 1983, p.168-169). Tenant ou non compte de cette interprétation subjective quant à l’incidence politique de son film, Wiene a néanmoins créé une œuvre magistrale, en combinant le cinéma, la peinture, l’architecture, la musique, le théâtre et la littérature.
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Situation dans l’œuvre de l’artiste | Robert Wiene débute en 1912 sa carrière de réalisateur, signant une douzaine de films anonymes n’ayant rien en commun avec le style caligariste. Le Cabinet, initialement proposé à Fritz Lang, sera son heure de gloire, même s’il ne représente qu’une petite production de la firme indépendante Decla. Par la suite, Wiene tourne Genuine, en 1920, reprenant sensiblement la même équipe et la même esthétique expressionniste, qui pourtant échouera. Il revient en force deux ans plus tard avec Raskolnikov, adaptation du roman de Dostoïevski, où l’expressionnisme touche à la fois le fond de l’histoire et la forme esthétique. Cependant, l’énorme confusion qui y règne nuira à la compréhension du film (Courtade, 1984, p.80). Wiene tente un dernier essai dans cette même voie, Les Mains d’Orlac, mais en vain. Alors, il réalise des films plus commerciaux : La Grande aventurière, Le Chevalier à la rose et La Duchesse des Folies-Bergère, qui seront boudés par la critique (Bardèche et Brasillach, 1964, p.315).
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Situation dans son contexte | Le Cabinet du Dr Caligari se situe dans une Allemagne «marquée par l’installation d’un capitalisme autoritaire, l’industrialisation et l’urbanisation galopantes, la paupérisation du prolétariat et l’épanouissement d’un impérialisme lourd de menaces» (Courtade, 1984, p.9). Les artistes y travaillent dans un esprit nouveau : l’expressionnisme, soit une philosophie concernant la «manière d’interpréter la perception» (Bardèche et Brasillach, 1964, p.248). En réaction contre le naturalisme et l’impressionnisme, ils s’inspirent des découvertes et conceptions novatrices des avant-gardistes de leur époque (Matisse, Kandinsky, Marc) et de la littérature (Dostoïevski, Rimbaud, Baudelaire, Nietzsche). La Première Guerre Mondiale vient frapper ce mouvement de plein fouet en envoyant ses représentants à la mort. Il est dès lors parfaitement compréhensible de voir surgir comme thème majeur l’apocalypse avec ses visions cauchemardesques et angoissantes de cruauté et ses personnages agonisants, des monstres, des spectres. En Allemagne, la mort est omniprésente, elle est imprégnée dans son tissu social où règne un chaos intolérable. Autant que la ville était stimulante pour les futuristes, autant elle n’est que «tristesse (banlieues ouvrières sans vie et cheminées d’usines) et affliction : casernes, abattoirs, canaux infâmes, murailles sombres» (Courtade, 1984, p.49) pour les expressionnistes. Grâce aux subventions des banques et métallurgistes de leur pays, les cinéastes allemands peuvent réaliser leurs films sans toutefois espérer les exporter puisqu’ils sont censurés dans tous les autres pays depuis la fin de la guerre, et le seront même dans leur propre pays dès l’arrivée d’Hitler. Ce climat difficile empêchera le mouvement de s’épanouir.
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Incidences | Tous les éléments particuliers du Cabinet (décors peints, maquillage, jeu extravagant, éclairages, reflets) ont permis de créer une ambiance anormale, étrange, inquiétante. Cette possibilité d’illusion nourrira grandement les Américains qui tourneront de nombreux films noirs dans les années 1940, plusieurs histoires de vampires et de morts-vivants (Dracula, de Tod Broning, avec Bela Lugosi), des films fantastiques (Rosemary’s Baby, de Roman Polanski), et finalement des œuvres de science-fiction, courant qui marquera à jamais le cinéma par la puissante portée des œuvres qui viennent atténuer par le processus de projection-identification les peurs des citoyens contre la menace soviétique, robotique et extra-terrestre. L’importance de l’esthétisme développée par Wiene et ses contemporains (Murnau, Fritz Lang, Wegener) a influencé la démarche et le souci du détail chez plusieurs cinéastes qui ont atteint une qualité et une maîtrise de l’image impressionnante, dont Orson Welles, Cocteau, Bergman, Kieslowski, Kubrick. Le Cabinet du Docteur Caligari (Wiene, 1919) est à l’Allemagne ce qu’est Naissance d’une nation (Griffith, 1914) aux Etats-Unis, et ce qu’est le Cuirassé Potemkine (Eisenstein, 1925) à la Russie. Ils symbolisent le cinéma d’auteur qui combat les films aux sujets superficiels que choisissent les maisons de production. Ils ont créé un langage, une identité propre à leur peuple respectif et à l’art qui les unit. Ils ont prouvé que la passion marquait davantage l’Histoire que l’argent.
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Bibliographie | Auzel, Dominique. Le cinéma, Toulouse : Éditions Milan, 1998, 63 p. Bardèche, Maurice et Robert Brasillach. Histoire du cinéma (vol.1) : Le cinéma muet, Rhone : André Martel, 407 p. Beylie, Claude et Philippe Carcassonne (dir.). Le cinéma, Paris : Bordas, 1983, 253 p. Courtade, Francis. Cinéma expressionniste, Paris : Henri Veyrier, 1984, 233 p. Delluc, Louis. Écrits cinématographiques I : Le cinéma et les cinéastes, Grenoble : Cinémathèque Française, 1985, 349 p.
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Ressources Internet | Wiene, Robert. 1919. Das Cabinet des dr Caligari.
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Commentaire |
Julie de Oliveira
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