Artiste Marcel Duchamp
Œuvre Fontaine
Date de création 1917
Dimension 25,5 cm x 18 cm x 60 cm de haut
Média ready-made : urinoir en porcelaine
   
Principales caractéristiques

Fontaine fut présentée à la Society for Independent Artists de New York en 1917. Il s’agit en fait d’un urinoir en porcelaine sur lequel l’artiste ne fit aucune rectification plastique, si ce n’est que d’inscrire le nom R. Mutt ainsi que l’année à la base de l’objet près du trou de plomberie. Il le présenta renversé sur sa surface plane. Marcel Duchamp expliqua avoir acheté l’urinoir chez une compagnie sanitaire New Yorkaise appelée Mott Works, d’où provient le pseudonyme Mutt auquel il altéra légèrement l’orthographe et y ajouta l’abréviation R. pour Richard ( dans le sens familier de personne riche) 1.


Situation dans l’œuvre de l’artiste

Au début de sa carrière Marcel Duchamp qui se consacrait principalement à la peinture, explora de nombreux courants d’avant-gardes. Commençant à peindre très jeune, il fut influencé par les mouvements artistiques de son temps : le fauvisme, le symbolisme et le cubisme 2. En 1912, toujours dans l’esprit du cubisme mais investi par la préoccupation du mouvement, propre au futuristes, il présenta le Nu descendant l’escalier au Salon des Indépendants 3. Le tableau fut accueilli froidement et retiré de l’exposition par Duchamp, déçu du manque d’ouverture d’esprit de ses contemporains. Par la suite, le peintre décida de faire cavalier seul en se dissociant de tout regroupement artistique. À partir de 1913, il tourna le dos à la peinture, à l’exception près des études picturales qu’il exécuta pour le Grand Verre, et intellectualisa de plus en plus sa démarche. Cette même année Marcel Duchamp créa son premier ready-made Roue de bicyclette qui fut suivi de plusieurs autres objets du quotidien (pelle, peigne, fenêtre, urinoir, etc.) retirés de leur contexte premier et présentés tels quels ou légèrement retouchés sous le titre d’œuvre d’art. L’urinoir nommé Fontaine fut sans aucun doute le ready-made le plus célèbre de l’artiste. Il fut présenté sous le pseudonyme de R. Mutt à la Society for Independent Artists dont Duchamp était un des membres fondateurs 4. Le comité d’accrochage refusa d’exposer un tel objet qui aurait sans doute contribué, selon eux, à ternir la réputation de l’événement. Duchamp démissionna du conseil et défendit M. Mutt dans un article publié dans The Blind Man. Il déclara que le fait que R. Mutt ait modelé ou non la Fontaine de ses mains n’avait aucune importance. Ce qui comptait selon lui, c’est qu’il l’ait choisi. Il avait pris un article courant de la vie et fait disparaître sa signification utilitaire sous un nouveau titre. De ce point de vue, il lui avait donné un nouveau sens 5. Ce n’est que plus tard qu’il reconnu la paternité de la Fontaine et que sous sa griffe, elle fut finalement reconnue comme étant une œuvre d’art. Il commenta : « ma fontaine-pissotière partait de l’idée de jouer un exercice sur la question de goût : choisir un objet qui ait le moins de chance d’être aimé (...) car le danger, c’est la délectation artistique. On peut faire avaler n’importe quoi aux gens ; c’est ce qui est arrivé. 6»


Situation dans son contexte

Duchamp fut associé au mouvement Dada, né en 1916 à Zurich et par la suite implanté à Berlin, Cologne, New York et Paris 7. Le Dadaïsme fut un courant de contestation et de révolte qui s’exprima entre autre à travers l’ironie, la dérision et la subversion. Bien qu’il fut de courte durée (s’éteignant officiellement en 1924 ) ce mouvement nihiliste, se manifestant autant par le comportement et la manière de pensée des artistes que par leur production artistique, bouleversa le monde de l’art. Les Dadas intellectualisèrent l’art en y mêlant les lettres et jeux de mots, puis en s’exprimant sur le sujet à travers maints revues et manifestes. Duchamp poussa l’idée de l’anti-art du dadaïsme à son paroxysme en exposant des objets usinés qu’il nomma ready-made. À l’intérieur de ce nouveau concept artistique il révolutionna la notion d’œuvre d’art qui n’était plus l’objet contemplé, mais l’idée de présenter cet objet dans un musée. En exposant ces objets banaux, Duchamp tenta de faire abstraction du bon ou mauvais goût , de provoquer une réaction d’indifférence visuelle pour supprimer toute émotion esthétique : « le ready-made permet de ramener l’idée de la considération esthétique à un choix mental et non pas à la capacité ou à l’intelligence de la main contre quoi je m’élevais chez tant de peintres de ma génération (...). 8» Entre 1913 et 1925 il fit environ une vingtaine de ready-made.

 

Incidences

Marcel Duchamp fut l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’art du XXe siècle. En exposant des objets usuels, il remit complètement en question le caractère unique de l’œuvre et l’absurdité de l’opération de sacralisation des musées 9. Sa volonté implacable d’en finir pour de bon avec l’art ayant pour seul but de plaire à l’œil plutôt qu’à l’intellect, l’amena à transfigurer du tout au tout la définition même de l’art. Duchamp ouvrit la porte à de nombreux courants artistiques dont le Pop Art, le Nouveau Réalisme et bien sur l’art Conceptuel. L’artiste déclara un jour : il est bien possible que le concept du ready-made soit la seule idée vraiment importante à retenir de mon œuvre 10.

 

 

1 MINK, Janis, Marcel Duchamp 1887- 1968, édition Tachen,, Allemagne, 2000, p.64.

2 MINK, Janis, Marcel Duchamp 1887- 1968, édition Tachen,, Allemagne, 2000, p.15.

3 PARTOUCHE, Marc, Marcel Duchamp, éditions Images en manoeuvres, Marseille, 1991, p.33.

4 MINK, Janis, Marcel Duchamp 1887- 1968, édition Tachen,, Allemagne, 2000, p.64.

5 MINK, Janis, Marcel Duchamp 1887- 1968, édition Tachen,, Allemagne, 2000, p.67.

6 CHALUMEAU, Jean-Luc, Duchamp, éditions Cercle d’Art, Paris, 1995, p.39.

7 F.R.CARRASSAT, Patricia, et MARCADÉ, Isabelle, Les mouvements dans la peinture, édition Larousse-Bordas, Paris, 1999, p.126.

8 PARTOUCHE, Marc, Marcel Duchamp, éditions Images en manoeuvres, Marseille, 1991, p.48.

9 SEGUY-DUCLOT, Alain, Définir l’art, éditions Odile Jacob, 1998, p.26.

10 PARTOUCHE, Marc, Marcel Duchamp, éditions Images en manoeuvres, Marseille, 1991, p.48.

 

Bibliographie MINK, Janis, Marcel Duchamp 1887- 1968, édition Tachen,, Allemagne, 2000.

PARTOUCHE, Marc, Marcel Duchamp, éditions Images en manoeuvres, Marseille, 1991.

CHALUMEAU, Jean-Luc, Duchamp, éditions Cercle d’Art, Paris, 1995.

F.R.CARRASSAT, Patricia, et MARCADÉ, Isabelle, Les mouvements dans la peinture, édition Larousse-Bordas, Paris, 1999.

SEGUY-DUCLOT, Alain, Définir l’art, éditions Odile Jacob, 1998.


Commentaire

Émilie Tremblay

 

Retour en haut [Fermer la fenêtre]