Artiste Emily Carr
Œuvre Indian War Canoe, Alert Bay
Date de création

1912

Dimension 65 x 95,5 cm
Média Huile sur carton entoilé
 

 

« L’art est l’art, la nature est la nature. On ne peut rien y ajouter […]  Je ne pourrai pas revenir à la   vieille morte façon de voir après avoir goûté à ces nouvelles joies... » 1

 

Principales caractéristiques

Emily Carr est née en 1871, à Victoria, en Colombie-Britanique, au moment où le train du Canadien Pacifique ne faisait pas encore la liaison avec le reste du Canada.  C’était la période des chercheurs d’or de l’Ouest. 2  Elle figure parmi les rares femmes peintres du Canada qui s’expatria pour étudier les arts à San Francisco et en Europe.  À 39 ans, elle entre à l'Académie Colarossi de Paris pour,  dit-elle, y chercher le Nouvel Art. 3 Avec Phelan Gibb, Frances Hodgkins et John Ferguson, elle travaillera l’impressionnisme à grands coups de hachures de pinceau à la manière des fauvistes. 4  Lors de ce stage, deux de ses toiles furent présentées au Salon d’Automne, l’exposition avant-gardiste de l’année à Paris. 5

C’est à la lumière de l’œuvre Indian War Canoe (Pirogue indienne de guerre) de 1912 6 que nous illustrerons ces propos.  A l’arrière du tableau (présentement exposé au Musée des Beaux-Arts de Montréal), il y est écrit de la main de l’artiste Indian War Canoe at Alert Bay during a Potlach. 7  (Potlach signifie une fête d’échange de cadeaux chez les Amérindiens d’Amérique). 8  Cette œuvre est la réplique d’une petite pochade en aquarelle noir et blanc préalablement exécutée sur place. 9  L’artiste l’a repeinte en appliquant les couleurs lumineuses, vibrantes et violentes du fauvisme.  Le contraste entre la petitesse des personnages s’activant sur la berge par rapport à la dimension du canoë montre un rejet de la perspective insistant sur un contenu simplifié et émotionnel post-impressionniste à la manière de Gauguin.  L’avant-plan est dominé par la  pirogue érigée en monument que les Amérindiens traditionnels fabriquaient en la creusant dans un arbre; ceux-ci s’en servaient pour faire la guerre. (notes d’archives du MBA).  À la face avant du canoë, on aperçoit un énorme castor (symbole mythique autochtone) d’un vert éclatant, la gueule rouge est entrouverte et les dents sont comme prêtes à dévorer.  Pour évoquer le bois, les couleurs pures d’un vert chaud, d’un jaune lumineux  et d’un pourpre vermillion vif ont été appliquées par touches généreuses.  Les structures aux couleurs nacrées d’un bleu ardent et d’un rose plus tendre viennent évoquer le génie de Cézanne par des contours  qui se mêlent aux couleurs crayeuses et grises adoucissant ainsi l’arrière-plan.  Cela  contribue  à créer dans l’espace l’impression de la profondeur et de l’éloignement.  Le fond est souligné par les formes verticales des totems qui sont alignés devant les maisons pour faire varier la géométrie et conserver le caractère primitif autochtone des derniers vestiges voués à  une disparition éventuelle. 10

 

Situation dans l’œuvre de l’artiste

Ce tableau est le début d’un tournant décisif et marquant d’une période féconde et évolutive de plusieurs de ses oeuvres, au cours de laquelle, Emily Carr s’affirmera pour la reformulation d’un vocabulaire personnel.  Dès lors, elle s’emploiera à traduire les sensations visuelles de la lumière aux moyens de techniques empruntées aux postimpressionnistes. A partir de ce moment ses valeurs picturales seront à la base d’une esthétique particulière avec laquelle elle développera un langage pictural et une conception de la vision des paysages sauvages qui lui seront propres.  Par le choix de sa palette fauviste et l’utilisation de touches grossières aux larges traits, par sa recherche constante pour transposer en pigments colorés des sensations visuelles et de lumière ambiante à des territoires indigènes et totémiques, Carr entrera à sa manière dans le courant des peintres modernes. 11   Selon Shalbott (1979), certaines de ses oeuvres se sont rapprochées de Van Gogh et de l’impressionnisme allemand.  Kitwancool totems (1928) nous révèle ses tentatives pour une forme de cubisme à la Picasso.

 

Situation de l’œuvre dans son contexte

Au retour de son périple de Paris en 1911, ses œuvres d'art ne furent  pas bien accueillies.  Les gens de l’Ouest ultra-conservateurs étaient peu cultivés à l’époque.  Méconnaissant ce style, on trouvera son tracé trop enfantin, ses couleurs trop vives et ses tableaux pas assez réalistes. 12    Malgré l'absence d'encouragement et de soutien réels de la part des milieux artistiques et cette anémie pernicieuse chronique dont elle souffrait, 13 elle s’entêtera et s’acharnera à conserver les acquis de sa pratique artistique, le choix et le traitement du thème. Elle amorcera Indian War Canoe en 1912 avec l’énergie éclatante de son nouveau  “style français” et décidera de contribuer aux archives optiques de la vie autochtone et d’immortaliser les totems avant leur disparition inévitable. Elle passera des étés avec les indigènes, dormant souvent  dans des tentes, dans les hangars à outils des” roadmakers”, dans les missions et les maisons indiennes…. Les habitants de Nuu-Chah-Nulth

la surnommeront « Klee Wyck », ce qui signifie « rieuse ». 14  Bien qu’elle ait noué une solide amitié avec Lawren Harris du Groupe des Sept qui admireront ses oeuvres, elle ne fut malheureusement jamais acceptée comme membre au sein de l’équipe masculine.  Ce n’est qu’à  67 ans qu’elle obtiendra enfin sa première exposition solo au Vancouver Art Gallery.  Elle écrira plusieurs livres et à l'âge de 70 ans, elle achèvera son autobiographie Growing Pains avant de mourir en 1945. 15

 

Conclusion

Son grand respect et sa véritable fascination pour les Premières nations de la côte de la Colombie-Britannique l’ont inspirée toute sa vie et lui ont valu ses plus belles œuvres. Sa passion et sa tenacité pour la peinture et pour la culture amérindienne ont contribué à la richesse du patrimoine culturel canadien.  Ses nombreuses oeuvres ont été un apport pour la connaissance de l’art moderne au pays.  Elle a voulu par ses peintures, conserver les empreintes amérindiennes d’un passé qu’elle voyait disparaître rapidement.  Emily Carr fut une des rares de cette époque difficile pour les femmes artistes qui a développé un style post-impressionniste personnel et audacieux. Avec sa touche généreuse, colorée, expressive et le jeu des lumières sur les sujets de ses tableaux, Emily Carr a réussi à reproduire la puissance, la majesté et le caractère éternel des paysages sauvages de la Colombie-Britannique de l’époque du début du XXe siècle.  Ses œuvres et ses écrits sont devenus une grande richesse et son personnage, un grand modèle de détermination féminine pour toutes les femmes de notre époque.

 

 

1 THOM M. Ian (1971).  Emily Carr en France.  Vancouver: Art Gallery. p.31.

2 NEERING, Rosemary (1976).  Emily Carr. (traduction Albert Ledoux). Québec :  Les Editions Julienne, p. 2-3

3 THOM M. Ian (1971).  op. cit. p.13

4 THOM M. Ian (1971).  op. cit. p.14

5 NEERING, Rosemary (1976).  op. cit. p.36

6 NEWLANDS, Anne (1996).  Emily Carr:  An Introduction to her Life and Art,  Ontario,  Bookmakers Press, Inc. p.26

7 Musée des Beaux-Arts de Montréal.  Archives (Notes de propriété dans dossier compilé)

8 Sélection du Reader’s Digest (1968).  Larousse Sélection, Trois Volumes en couleurs.  Tome 1.  Paris/Montréal :  Librairie Larousse. p.727.

9 HEMBROFF-SCHLEICHER, Edythe (1978).  Emily Carr: The Untold Story. Saanichon, B.C./Seatlle: Hancock House Publisher.  p.26-78.

10 CARR, Emily (1971).  Exposition centenaire commémorant le centième anniversaire de sa naissance, organisée par la Vancouver Art Gallery.  p.24.

11 Ibid, p.24.

12 BRAID, Kate (1947).  Emily Carr:  Rebel Artist.  Montreal:  XYZ  ......Publishing.  p.70.   « […]  they were shocked.  Most people thought ......the new work was a joke… »

13 NEWLANDS, Anne.  op .cit. p.13.

14 HEMBROFF-SCHLEICHER, Edythe.  op. cit.  p.76-78

15 NEERING, Rosemary.  op. cit.  p.59.

 

Bibliographie

BRAID, Kate (1947). Emily Carr: Rebel Artist. Montreal:  XYZ Publishing.

CARR, Emily (1971). Exposition centenaire commémorant le centième anniversaire de sa naissance, organisée par la Vancouvert Art Gallery.

CARR, Emily (1941). Klee Wyck. Toronto: Oxford University Press; Clarke, Irwin and Co Ltd.  1962-1965.

CARR, Emily (1945). Her paintings and sketches. Toronto: Oxford University Press.

CARR, Emily (1997) (c1993).  The complete Writings of Emily Carr.  Introduction by.Doris Shadbolt.  Vancouver/Toronto: Douglas & McIntyre.

HEMBROFF-SCHLEICHER, Edythe (1978). Emily Carr: The Untold Story. Saanichon, B.C./Seatlle: Hancock House Publisher.

NEERING, Rosemary (1976).  Emily Carr. (traduction Albert Ledoux) Québec :  Les Editions Julienne.

NEWLANDS, Anne (1996). Emily Carr:  An Introduction to her Life and Art. Ontario : Bookmakers Press, Inc.

SHADBOLT, Doris (1979). The Art of Emily Carr.  Vancouver:  Douglas & Mcintyre Ltd. Toronto: Clarke, Irwin Co Ltd.

SHADBOLT, Doris (1999).  Emily Carr. Ottawa:  Musée des beaux-arts du Canada.

TIPPETT, Maria (1979). Emily Carr: A Biography. Toronto : Oxford University Press.

THOM  M. Ian  (1971). Emily Carr en France. Vancouver Art Gallery.

 

Commentaire

Huguette Gauthier

 

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