Artiste Georges Méliès
Œuvre Le voyage dans la lune
Date de création 1902
Durée 13 minutes
Média Film
 

 

Réalisation : Georges Méliès
Avec :
Georges Méliès (Barbenfouillis),
Victor André,
Depierre,
Kelm,
Farjaux,
Bleuette Bernon (la Lune),
les danseuses du Châtelet,
les danseurs et acrobates des Folies Bergères (les Sélénites).

Scénario : Georges Méliès
Photographie : Michaut
Décors : Claudel
Costumes : Jehanne Méliès
Production : Star Films (Georges Méliès)

« Un observateur doué d’une vue infiniment pénétrante, et placé à ce centre inconnu autour duquel gravite le monde, aurait vu des myriades d’atomes remplir l’espace à l’époque chaotique de l’univers ».
(Jules Verne : De la Terre à la Lune - 1865)

 

Synopsis

C’est à l’occasion d’un congrès de scientifiques, que Barbenfouillis, président de cette assemblée, présente son projet de voyage vers la lune. L’idée est plus ou moins bien accueillie. Cinq congressistes se rallient au projet.
Dés lors un canon géant est construit, il projettera un obus contenant nos scientifiques, direction la lune. Le grand jour, la fusée part.

Sur la lune, les astronautes découvrent un paysage très accidenté et observent la Terre depuis ce nouveau point de vue. Fatigués, ils se couchent. Commence un rêve étoilé.
Réveillés par le mauvais temps, ils se réfugient dans une grotte où ils découvrent les Sélénites, habitants de la lune. Hostiles à l’arrivée des hommes, ils poursuivent et capturent nos savants. Mais les prisonniers vont s’échapper et retourner vers l’obus, pour reprendre la direction de la Terre. De retour, ils sont acclamés au cours d’une grande cérémonie.

 

Principales caractéristiques

C’est une mise en scène très théâtrale que la caméra filme en plan fixe. L’image est en noir et blanc, le film est muet 1.

Le cadre montre l’espace scénique dans sa totalité, pas de gros plan ou de plan serré. Le film comprend dix scènes divisées en trente tableaux, articulés autour de dix-huit décors 2.

Tout au long des 260m de film, Méliès nous offre treize minutes merveilleuses où se mélangent subtilement poésie et science, réalité et illusion, sans négliger humour et fantaisie.

Le format long métrage 3, les nombreux acteurs et figurants, les costumes qui demandèrent l’intervention de spécialistes du moulage et du masque, la durée extraordinaire de tournage (trois mois) et le budget faramineux (10 000 Francs) font de ce film la première super-production du cinéma.

Le cinéma est un art total; chaque intervention est artistique : décor, costumes, lumière, acteur… Il ne fallait rien de moins pour l’excessive imagination de Georges Méliès. Tel un chef d’orchestre, il supervise tout. C’est dans ses propres studios à Montreuil-sous-bois, que l’auteur conçoit tous les décors peints à la main, autant de trompe-l’œil qui habilleront cette production unique. Mais c’est en inventant le trucage 4 que Méliès révolutionne l’avenir du septième art.

Il s’agit ici d’une œuvre maîtresse dans la carrière de cet illusionniste.

 

Situation dans l’œuvre de l’artiste

Ami de la famille Lumière, Méliès est convié par Antoine Lumière 5 à un événement qui devrait le surprendre « lui qui épate déjà toujours les autres », au Grand Café à Paris 6. Le soir du 28 décembre 1895, les spectateurs sont abasourdis devant la projection que propose la famille Lumière : l’invention du cinéma!

Conquis, il conçoit lui-même sa première caméra 7 (avec un projecteur) et le 10 juin 1896 à Montreuil, il réalise son premier film « Une partie de carte ».

Il construit rapidement ses studios et fonde sa compagnie : la Star-Film. Au contraire des frères Lumière qui filment la rue, les lieux publics, il préfère réinventer sa réalité en studio, et utilise le faux pour sublimer le réel et assouvir sa créativité.

C’est en cinéaste affirmé que Méliès entreprend ce projet exceptionnel : il a déjà réalisé 245 films quand débute le tournage du Voyage dans la Lune. A chacune de ses expériences, il diversifie ses connaissances, et ses trucages s’améliorent, se multiplient. Ses thèmes s’inspirent du scientifique et du fantastique.

«J’ai fait, durant vingt ans des films fantastiques de tous genres, et ma première préoccupation était de trouver, pour chaque film, des trucs inédits, un grand effet principal et une apothéose finale. [...] Je m’occupais, en dernier lieu, de dessiner les décors pour encadrer l’action. [...] Quant au scénario, à la « fable », au « conte », je m’en occupais en dernier.» [extrait du livre de Madeleine Malthête Méliès l’enchanteur ed Hachette - 1985)


Situation dans le contexte socio-historique

Mais tout le génie de Méliès ne serait rien sans l’utilisation de l’électricité dans l’art et la création et l’intégration de machinerie aussi efficace qu’invisible. Il ne néglige aucune des nouvelles technologies. Sa réactivité face à l’invention des frères Lumière, lui permet de prendre quelques longueurs d’avance.

Méliès va très largement utiliser la littérature 8 pour alimenter ses scénari, il est très au fait des nouvelles découvertes et s’attache à imaginer quelles adaptations il peut en faire : « Dans le livre de Jules Vernes, les humains ne purent atterrir sur la lune, ayant en effet raté leur voyage. J’ai donc imaginé en utilisant le procédé de Jules Verne d’atteindre la lune, de façon à pouvoir composer nombre d’originales et amusantes images féériques au-dehors et à l’intérieur de la lune… » [extrait du livre de Georges Sadoul Georges Méliès, choix de textes, correspondances et propos de Méliès, ed Seghers - 1961],

Méliès fait ici un travail très personnel et indéniablement novateur, largement en accord avec son époque.

 

Incidences

Cette réalisation, fondatrice du genre, va offrir la première œuvre de science-fiction cinématographique d’envergure mondiale. Elle a été largement appréciée pour ses aspects novateurs, mais aussi son humour, sa légèreté.

Méliès a directement influencé tous les cinéastes de l’époque, il est devenu pendant longtemps « LA » référence en matière de cinéma fantastique. Bizarrement c’est en se faisant copier et pirater son film que son nom se répandit sur la planète.

Beaucoup de films reprendront le thème de « Voyage dans la lune » mais sans jamais atteindre le charme de l’œuvre de Méliès.

Encore aujourd’hui la présence de Méliès dans le cinéma est incontestable. De La femme sur la lune de Fritz Lang, à 2001 : Odyssée de l’espace de Kubrick, en passant par Stars War de Speilberg, tous sont les fils spirituels de ce génie.

Le développement des effets spéciaux au cinéma s’est accéléré grâce aux nouvelles technologies, transcendant l’illusion, approchant la perfection, mais beaucoup des idées utilisées dans le cinéma fantastique, figuraient déjà dans le travail du formidable créateur de Montreuil.


 

1 Le film couleur est développé dès 1910 mais le procédé ne sera efficace que dans les années 30, de plus, l’industrie du cinéma n’acceptera de généraliser le phénomène que dans les année 50. Malgré les premiers pas de Gaumont et Pathé au début du siècle, le cinéma parlant n'apparaît qu'en 1927 avec le film The Jazz Singer produit par la Warner Brothers.

2
La réunion du Club des astronautes (1-2) ; - la construction de l’obus (3-4) ; - le départ (5-7) ; - le voyage rapide (8) ; - l’alunissage (9-10) ; - l’exploration, la tempête de neige, les grottes (11-15) ; - l’arrivée des Sélénites, combats, captivité, évasion, poursuite. (16-20) ; - le retour (21-25) ; - l’obus tombe dans l’océan. L’équipage est acclamé (26-30).

3 En 1902 les films n’excèdent pas 2 ou 3 minutes.

4 Lors d’un de ses tournages, sa caméra se bloque. Ne voulant pas gâcher du film inutilement, il la répare et la remet en fonctionnement. Mais les personnages ne sont plus à la même place et certains sont partis. Méliès invente ainsi le premier trucage du cinéma par arrêt de caméra (ou le second si l’on considère l’inversement de pellicule des frères Lumières dans « La démolition d’un mur »). http://analysefilmique.free.fr/prehisto/melies.php

Le trucage le plus utilisé ici, consiste à arrêter la prise, et de la reprendre après avoir modifier une partie de la scène, afin de faire apparaître ou disparaître certains éléments.

5
Antoine Lumière est le père de Louis et Auguste.

6 Le grand Café à Paris devient avec cet  événement la première salle de cinéma.

7 Méliès offre à la famille Lumière une forte somme d’argent pour acheter un des appareils mais Antoine Lumière lui répondit : « Jeune homme, remerciez-moi. Mon invention n’est pas à vendre, mais pour vous, elle serait une ruine. Elle peut être exploitée quelque temps comme une curiosité scientifique : en dehors de cela elle n’a aucune valeur commerciale! »7. extrait du livre de Fabrice Calzettoni : Les frères Lumières et le cinéma.

8 Les Grecs parlent déjà de mettre les pieds sur la lune dès le deuxième siècle de notre ère. La Lune est donc très tôt à la mode : chacun rêve d’y aller. L’un à l’aide d’un ressort (David Russen, Le Voyage lunaire, 1703), l’autre grâce à un canon (Murtagh McDermot, Un voyage dans la Lune, 1728). Mais la technologie avançant, les progrès techniques donne des ailes à l’imagination : en 1783, le premier vol en montgolfière commence à raccourcir les distances sur terre.



Références

Livres :

Fabrice Calzettoni(Les frères Lumières et le cinéma, ed du Sorbier 1995)

Jacques Deslandes (Le boulevard du cinéma à l’époque de Méliès, ed du cerf 1963)

Georges Sadoul (Georges Méliès, choix de textes, correspondances et propos de Méliès, ed Seghers 1961)

Madeleine Malthête (Méliès l’enchanteur ed Hachette,1985)

Pierre Jenn (Georges Méliès cinéaste : le montage chez Georges Méliès, ed Albatros, 1984)

M. Bessy et L. Duca (Georges Méliès, mage et mes mémoires par Méliès, ed Prisma, 1945)

 

Sites Internet :

http://analysefilmique.free.fr/prehisto/melies.php

http://www.objectif-cinema.fr/horschamps/063a.php

http://sfstory.free.fr/films/voyagedanslalune.html

http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/celebrations2002/melies.htm

http://www.ac-orleans-tours.fr/rectorat/dossiers/p-julesverne.htm

 

Littérature fantastique de l’époque :

E. A. Poe (L’Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal, 1835)

J. Verne (De la Terre à la Lune, 1865 et Autour de la Lune, 1871)

H. G. Wells (Les Premiers Hommes sur la Lune, 1901)

 

Commentaire

Emmanuel Brasseur

 

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